Le 12 novembre 2009
Je suis réveillée vers 5h du matin par Max qui doit partir pour Manaus. Je me rendors sans mal après son départ, considérant ma nuit comme non finie. Je me réveille ainsi une heure et demie plus tard dans un silence troublant après le boucan des ronfleurs de cette nuit, m’apercevant vite que je suis la seule à dormir, tout le monde étant déjà sur le pied de guerre.
N’ayant plus d’eau pour la douche, les clients viennent me chercher pour que j’essaie de régler leur problème, je me contente de faire passer l’information à mes amis Brésiliens qui sauront bien mieux que moi gérer le problème. Voilà que je deviens l’intendante à présent! Après le petit déjeuner en compagnie de mes amis belges, je pars avec eux pour une promenade dans la jungle environnant le lodge, n’ayant pas encore eu l’occasion de m’enfoncer dans ce poumon vert, ne l’ayant apprécié que de la rivière pour le moment. Et au moins, ce couple de touristes accepte que je l’accompagne, ce qui me fait bien plaisir. Des chaussures fermées aux pieds, un pantalon long, et, le plus important pour moi, un chapeau, afin d’éviter de réitérer mes mésaventures de la dernière fois où un insecte m’a pondu dans le crâne… Nous partons donc tous les trois, un guide brésilien parlant français en tête, nous enfoncer dans ce feuillage impénétrable. Je retrouve avec plaisir cette impression d’être si petite parmi cette immensité d’arbres, de feuilles et de plantes qui m’enveloppent tout entière comme pour me protéger et me ressourcer de façon puissante et magique. Je me laisse entraîner par cette attraction irrésistible, m’abandonnant totalement à Mère Nature.
Notre guide nous présente les arbres fruitiers et plantes médicinales, nous montre des oiseaux, des fourmis géantes et d’immenses mygales poilues sortant de leur trou enterré. Nous cherchons les singes mais ils resteront cachés. Il confectionne pour nous des couronnes de feuillage comme pour tout bon touriste qui se respecte. Nous nous forçons presque à les porter pour lui faire plaisir. Ce petit tour de deux heures de marche en pleine jungle me ravit au plus haut point, j’aime tellement crapahuter, me sentant unie à la Terre, ne faisant qu’une avec elle, sentant l’humidité de son feuillage frais, entendant le son du vent dans les arbres, goûtant du bout des lèvres cette senteur sucrée et moite sur ma peau. J’évite pourtant soigneusement de toucher ce trésor, chaque branche d’arbre ou feuillage possédant son propre moyen de défense contre l’envahisseur: épines multiples, tiges tranchantes et aiguisées comme des couteaux, sève empoisonnée, termites cachés sous l’écorce, serpent enroulé sur une branche, fourmis tueuses enfouies dans les racines et mygales terrées à nos pieds, nous avons le choix des blessures! Il faut respecter la jungle et suivre quelques règles élémentaires qui consistent principalement à être vigilants. Nous ne sommes pas sur notre territoire, il ne faut simplement pas l’oublier. L’homme n’est pas maître partout et certainement pas dans la jungle!
Après notre retour au lodge sous une chaleur humide écrasante, je saute dans l’eau de la rivière pour me rafraîchir un peu en compagnie du guide José, natif d’ici mais parlant très bien français. C’est agréable de pouvoir parler ma langue avec un Brésilien, ça change! Et il est vraiment gentil, ce qui est d’autant plus plaisant. Je décide de rester au lodge cet après-midi, tout le monde va partir en excursion, je serai au calme ici. Et je ne me lasse pas de ce petit coin de paradis!
Alors que tout le monde part en bateau, j’aperçois Max qui revient plus tôt que prévu au final. Je suis bien contente de le voir, même si une partie de moi voulait rester seule cet après-midi pour réfléchir. Mais il est fatigué après son départ matinal et ses préparatifs à Manaus, il part se coucher dans le hamac. J’en profite pour partir seule me baigner, et, flottant sur un gilet de sauvetage comme une bouée, je me laisse dériver au gré des courants, la tête vers les nuages. L’eau est vraiment chaude, elle doit faire dans les 33°C et ne rafraîchit en rien mon corps moite de transpiration. Mais j’aime la sensation de me trouver seule dans un bain chaud naturel gigantesque, mes pieds réussissant à trouver un peu de fraîcheur en profondeur du fleuve. Comment décrire ce que je ressens alors? Une grande plénitude et une totale sérénité s’emparent de moi, me donnant l’opportunité de lâcher prise totalement afin d’entrer en moi et de m’écouter vraiment. Une totale paix pénètre mon cœur et mon âme, dénuée de tout questionnement, doute, peur, incertitude. Je sais juste que tout se passera pour le mieux pour moi et que je n’ai qu’une chose à faire: profiter du moment présent à chaque instant, être ici est un cadeau et il ne faut pas que je m’inquiète de quoi que ce soit. Je ressens aussi avec certitude que Max est sur la même longueur d’ondes que moi à propos de cette histoire. Nous nous entendons bien ensemble et profitons de la présence de l’autre autant que possible, mais il est conscient que tout nous sépare. D’un accord tacite, nous ne faisons aucun projet ensemble pour l’avenir, sachant pertinemment que ça ne servirait à rien. La réponse à ma question est donc simple: arrêter de m’en faire et profiter au maximum de mon séjour ici, ce qu’il m’est donné de vivre étant rare et précieux. Je sais que Max fera la même chose de son côté.
Je me réveille de ma « transe » alors qu’il me rejoint sur le ponton. Il m’entraîne sans un mot dans une petite barque sans moteur où il pagaie en direction du soleil couchant. Assise à l’arrière, je me laisse transporter telle une princesse de conte de fées sur ce fleuve tranquille alors que le rouge doré du soleil nous montre ses plus belles couleurs. Des dauphins roses et gris accompagnent notre embarcation, jouant avec nous dans la lueur du crépuscule se reflétant dans l’eau. Après mon lâcher prise de tout à l’heure, j’ai l’impression d’être à fleur de peau, tout mon corps et toute mon âme sont mis à nu, grands ouverts sans barrière afin de bénéficier de toute la beauté du monde, et j’en reçois un large éventail, assise ici sur ma petite barque, Max, torse nu, pagayant devant moi, nous emmenant au paradis. Les larmes me montent aux yeux, l’émotion et les sensations étant trop fortes. Je remercie l’Univers encore une fois de me montrer de si grandes beautés. La terre est tellement belle! Les dauphins nous suivront jusqu’à notre retour au lodge dans l’obscurité. Je suis aux anges…
Le dîner est servi, nous rejoignons les convives pour le repas, Max et moi jouant nos rôles d’hôtes à chaque table, essayant de parler avec tout le monde et de nous enquérir de leur bon séjour parmi nous. C’est du travail de tenir un lodge touristique! D’autant plus que certains touristes sont moins sympathiques que d’autres, mais il faut sourire à tout le monde sans distinction. Moi qui aime bien étudier la psychologie des gens, je suis servie ici, un large éventail de différentes personnalités se retrouvant en même temps dans un petit espace. Sans compter que les gens viennent également de différents pays, donc de différentes cultures… Certains sourient tout le temps, d’autres jamais, certains se plaignent sur tout, d’autres voient le côté positif de toute chose… C’est très intéressant et fort instructif. Toutefois, ça me fatigue vite de me forcer à parler à tout le monde, surtout en anglais, et je m’éclipse pour descendre sur le ponton et regarder les étoiles illuminer le ciel.
José me rejoint et il m’explique en français la signification de quelques constellations. Max apparaît comme par magie peu après, abandonnant rapidement ses convives en voyant qu’un autre a pris sa place auprès de moi, en n’ayant pas l’air très content. Il demande à José de préparer un canot pour nous, ce que celui-ci s’empresse de faire sans discuter. Max m’entraîne dans l’embarcation encore une fois, mais à moteur celle-ci, un verre de vin blanc à la main à mon intention, puis nous filons dans la nuit jusqu’à un grand lac un peu plus loin. Il arrête le moteur en plein milieu du lac, place les coussins qu’il avait pris soin d’emporter au fond de la barque, puis nous nous allongeons tous les deux sur le dos, le verre de vin posé non loin. Je reste alors bouche bée devant le spectacle extraordinaire qui s’offre à nous… Un majestueux dôme étoilé nous fait face, sans aucun arbre, aucun feuillage, aucune lumière pour faire obstruction à ce panorama absolument grandiose. Le temps étant lourd et orageux, de gros éclairs illuminent le ciel de temps à autre très loin de nous, juste pour éclairer une seconde et nous permettre d’apercevoir brièvement la jungle épaisse qui nous entoure. Elle se rappelle à nous pour que nous ne l’oubliions pas, absorbés comme nous le sommes par la contemplation des astres lointains. C’est tellement beau! Je n’en reviens pas… C’est un de mes rêves de petite fille de me retrouver au fond d’une barque sur un lac, admirant le ciel constellé d’étoiles, et voilà que je le vis pour de vrai! Tous mes sens en éveil, j’écoute les bruits nocturnes, et à défaut de les voir, j’imagine les créatures qui nous entourent, à l’origine de ces claquements, clapotis et bruissements. Tiens, un caïman qui vient de plonger dans l’eau! Voilà un piranha qui vient de refermer ses mâchoires sur un poisson égaré, un serpent ondule dans l’eau, émettant des bruits de vaguelettes… Bien sûr, il ne s’agit que du fruit de mon imagination, mais je ne dois pas toujours être loin de la vérité, mes yeux aveugles dans cette obscurité ne pouvant me donner raison ou tort. Et ça n’en paraît que plus magique! La nuit, la forêt se réveille et cette nature intacte, peu abîmée par les actions des hommes, prend vie autour de moi, comme elle le fait depuis des millénaires, m’englobant tout entière dans son antre, pour mon plus grand plaisir. Je m’attends presque à voir apparaître un dinosaure oublié ici, surgissant du fond de l’eau ou de la jungle épaisse. Mon imagination s’exalte à l’unisson avec le bonheur qui m’irradie de toute part… Dans les bras l’un de l’autre, doucement balancés par le roulis du canot, nous ne perdons pas une miette de cet instant magique, désirant encore une fois arrêter le temps pour toujours. Nous finissons par nous endormir petit à petit sous la bienveillance des étoiles filantes parsemant le ciel lorsque Max sursaute au bruit d’un moteur de canot. Nous sommes au milieu du lac sans aucune lumière pour prévenir les bateaux que nous constituons un obstacle à éviter dans cette nuit d’encre. Il a juste le temps d’allumer la lampe torche, le bateau déviant de justesse sa trajectoire pour nous éviter. Nous avons frôlé la collision! Ouf! Il est temps de rentrer de toute façon, il est tard et les moustiques commencent à nous dévorer. Merci encore, Max, de me faire vivre d’aussi incroyables moments…
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