Pêche aux piranhas!

Le 11 novembre 2009

Réveillée avec le soleil vers 6h du matin, je pars sans faire de bruit sur le balcon pour profiter de la vue du fin fond du hamac. Max me rejoint peu après et nous somnolons doucement, bercés par la brise et par le chant des animaux matinaux. Et voilà que les dauphins viennent nous dire bonjour! Quel incroyable réveil!…

Un bon petit déjeuner plus tard à base d’excellents fruits frais et de gâteaux délicieux, nous nous préparons à quitter ce petit coin de paradis. En chemin, sur la longue passerelle qui traverse toute la forêt, perchée à 25 m du sol, nous croisons de superbes perroquets rouges qui se laissent photographier tels des modèles de magazine. Des singes cherchent parfois à nous voler quelque chose ou simplement à jouer avec nous. Nous faisons vraiment partie de leur monde, perchés ainsi dans la cime des arbres. Nous pénétrons dans leur territoire.

Avant de partir, Max souhaite visiter d’autres chambres afin d’avoir un bon aperçu de la totalité du lodge. Je m’aperçois alors qu’on nous a donné la plus belle cabane, les autres étant beaucoup plus petites, sans hamac et collées les unes aux autres. Ca a vraiment du bon de faire partie des VIP! Surtout en Amazonie… Nous repartons ensuite en bateau, revenant au Dolphin Lodge en une heure de temps, sous un soleil radieux rendant les paysages encore une fois surréels. Ici dans la jungle, on se déplace en bateau comme on prend sa voiture en Europe, c’est en effet le moyen de transport le plus rapide. Par contre, je ne sais pas comment Max réussit à s’y retrouver dans tous ces méandres… Ca manque un peu de signalisation tout ça! Mais pour ma part, je m’en aperçois de plus en plus, je suis vraiment une fille de l’eau… J’adore me retrouver sur un bateau quel qu’il soit, me sentant vraiment dans mon élément à ce moment-ci. Il va peut-être falloir que je pense à prendre des cours de navigation!

Max repart gérer ses affaires avec ses employés, j’en profite pour prendre un bain dans la rivière. Durant le déjeuner qui propose un délicieux poisson cette fois-ci, je me retrouve encore dans cette position délicate qui ne m’inclut pas parmi les touristes ni parmi les Brésiliens. Je mange à la table de Max mais ne peux participer à la conversation, ce qui reste un peu frustrant. De plus, il est tout le temps en train de gérer quelque chose tout en ne montrant que le positif aux touristes. Il est très professionnel même lorsqu’il est censé être en vacances!

Le début de l’après-midi est ensuite consacré à la sieste sur mon banc fétiche près d’un arbre surplombant la rivière, ou bien dans le hamac sous le chapiteau protégé par une moustiquaire, ou bien encore à un plongeon dans la rivière avec les dauphins roses. Vers 15h30, nous partons, Max et moi, seuls dans un petit canot, réitérer notre expérience de pêche au piranha non fructueuse hier. Cette fois, nous nous rendons dans le coin de son enfance où il a appris à pêcher avec son père. Il jette sa ligne à l’eau, un petit morceau de bœuf accroché à l’hameçon en guise d’appât, et sent aussitôt un gros poisson mordre. Il tire violemment sa ligne hors de l’eau, et sort un imposant piranha doré qui s’agite frénétiquement au bout de l’hameçon. Ca y est, ça mord enfin! Il retire l’hameçon de la bouche du poisson, ce qui nous asperge tous les deux de sang des pieds à la tête… eh bien, nous sommes beaux à voir ainsi! Peu importe, nous continuons notre pêche, imperturbables et heureux de pouvoir attraper quelque chose. J’aurai le plaisir d’en pêcher deux moi-même tandis que Max s’arrêtera après son troisième, ne voulant pas vider la rivière pour des poissons que nous ne pourrons pas manger. Nos cinq prises sont bien costaudes et s’agitent dans tous les sens au fond du bateau. Nous relevons les pieds, histoire qu’ils ne nous mordent pas le mollet avec leurs dents acérées. Ces bestioles sont tout de même très impressionnantes…

Après cette belle pêche tout en profitant des environs en solitaires, personne ou presque ne venant perturber cette quiétude sauvage et irréelle, nous passons par la maison de la mère de Max y déposer nos prises qu’elle souhaite gentiment cuisiner pour nous le temps qu’on continue notre promenade en amoureux. C’est quand même cool d’avoir un copain amazonien connaissant la jungle et ses rivières comme sa poche, pouvant se sortir de n’importe quelle situation grâce à son habitude et sa débrouillardise. Nous resterions coincés 3 semaines en pleine jungle, je sais que nous ne mourrions pas de faim ni de soif grâce à lui, et il serait même capable de nous construire une cabane spartiate protectrice des animaux et des éléments naturels. Je l’admire beaucoup pour sa faculté de se débrouiller aussi bien en pleine jungle qu’en ville, pouvant mener son affaire financière comme un chef, ses bénéfices dépassant même ses attentes les plus inespérées. Il ne doit pas y en avoir beaucoup comme lui. Malgré tout, je me rends compte que je ne suis pas amoureuse de lui. Il manque cette petite étincelle qui fait vibrer le cœur, qui fait qu’on ne souhaite qu’être en présence de l’autre, se plonger tout entière dans la vie de l’autre… Nous venons de mondes trop différents. J’apprécie énormément sa compagnie et j’adore partager tous les moments que l’on vit ensemble depuis mon arrivée, mais rien de plus. Ce constat me fait bien cogiter du coup. Que dois-je faire, continuer le reste de mon séjour avec lui tout en sachant que ça ne mènera à rien de plus par la suite, ou bien partir maintenant par respect pour lui et changer de programme? Je dois y réfléchir au calme. Demain, il part à Manaus pour la journée, me laissant seule prendre le bateau avec un groupe de touristes allemands, pour une petite croisière de 4 jours, ne me rejoignant que le soir sur le bateau. Je vais avoir le temps de me pencher sur la question…

En attendant, nous partons sous un soleil couchant splendide se reflétant dans les eaux brunes de l’Amazone, notre bateau se faufilant dans de petits canaux vierges de toute civilisation, des kms de forêt vierge s’étendant à perte de vue sans habitation ni preuve d’aucune sorte que l’homme ait pu un jour pénétrer cette inextricable étendue verte. J’essaie de faire abstraction de mon sentiment de malaise à l’idée de ne pas vraiment mériter ce cadeau que m’offre encore Max, pour profiter au maximum du moment présent, mais ce n’est pas évident. Après cette superbe balade, nous revenons à la maison familiale Maia dans l’obscurité, guidés par ma lampe torche que je garde toujours sur moi en prévention, Max ayant oublié la sienne. Heureusement que je suis là! Comme dirait un ami de Max, je suis presque une Amazone à présent… moitié Française, moitié Québécoise et quelque peu Amazonienne. Je n’ai pas vraiment une vie triste et monotone, c’est le moins qu’on puisse dire!

Arrivé chez sa mère, il me présente à son frère et à son beau-frère mais malgré d’immenses sourires la barrière de la langue reste problématique pour moi. On se place donc gentiment devant la télévision, un DVD de spectacle musical de Fono, un groupe de musique très populaire ici, me servant de distraction tandis que toute la famille discute en portugais. Max, voyant que je commence à m’ennuyer un peu, m’invite à le suivre dans une danse effrénée au son de la musique tonitruante et entraînante sortant des enceintes, sous le regard amusé du reste de la famille qui prend même des photos pour l’occasion. Et moi, quand je danse, j’oublie tout et pars sur une autre planète, m’abandonnant totalement aux sons qui entraînent mon corps dans des mouvements dansants, sans essayer de les réfréner. C’est une autre sorte de méditation pour moi et je l’adore!

Nous passons ensuite à table et dégustons, Max et moi, nos piranhas, tandis que sa mère nous regarde tout en discutant avec son fils, n’ayant elle-même pas très faim. Dans mon souvenir, la soupe de piranhas dégustée 4 ans plus tôt dans le Pantanal n’avait rien d’extraordinaire, mais cette fois-ci je me régale avec la chair tendre et moelleuse de nos bestioles à grandes dents. Nous goûtons aussi à un poisson végétarien à la peau sombre, pouvant ainsi comparer le goût avec des poissons carnivores. Les deux sont très bons, avec une saveur totalement différente, plus douce et subtile chez le végétarien, plus corsée et forte pour le carnivore. Je me sens un peu étrangère d’être invitée ainsi dans la famille de Max, moi une petite Française sortant de nulle part et ne parlant pas un mot de leur langue, ne connaissant pas grand-chose de leur culture, rechignant à manger l’intérieur de la tête des piranhas, ce qui apparaît comme bizarre aux yeux de tous, pour eux c’est le meilleur morceau… Comment expliquer ce que je ressens? J’ai tout simplement l’impression de ne pas être à ma place ici, voilà tout, même si je trouve l’expérience plus qu’enrichissante bien entendu! Visiblement, peu de jeunes femmes ont été présentées à sa mère, ce qui doit signifier que je revêts une certaine importance pour Max, et cela me touche tout en m’effrayant à la fois. Dans quelle situation rocambolesque me suis-je encore laissée embarquer? C’est tout moi ça…

Sa mère nous avait même préparé une chambre à coucher, pensant que nous allions rester dormir. Mais, à mon grand soulagement, Max souhaite rentrer au Dolphin Lodge ce soir. Nous prenons donc congé, la route du retour étant encore longue, et il fait nuit noire. Nous remontons dans le bateau, et aidé de ma simple petite lampe, Max nous guide à travers les embranchements sinueux de la rivière. Je n’ai aucune idée de la façon dont il réussit à s’y retrouver, à savoir quel chemin prendre alors qu’on ne voit pas à deux mètres devant nous, une nuit noire et sans lune ne nous aidant guère à voir quoi que ce soit. Malgré mon entière confiance en lui, je me dis qu’on n’est pas à l’abri d’un petit manque de vigilance ou bien d’un obstacle survenant à l’improviste, je trouve notre retour en pleine nuit sur une aussi grande distance un peu présomptueux. Comme à mon habitude dans ces cas-là, je décide de faire l’autruche et m’allonge dans le bateau, admirant les étoiles constellant le ciel, fermant les yeux sur le potentiel danger qui nous attend à chaque tournant. Nous allons quand même vite et le moindre obstacle nous ferait chavirer ou briserait la coque. Sans parler des rives que je sais sinueuses mais que je ne vois pas! Je me perds donc dans l’observation de la voie lactée alors que le bateau file sur les eaux noires. Malgré ma légère appréhension, je me sens bien.

Nous croisons d’autres bateaux de temps en temps, visibles par le faisceau de leur lampe torche. L’un d’eux au dernier moment change de direction et fonce droit sur notre bateau, nous rentrant dedans avec violence. Je pousse un cri autant de peur que de colère, ne comprenant pas son brusque changement de trajectoire, et Max non plus. Heureusement, personne n’a rien et les bateaux non plus mais s’ensuit une engueulade entre Max et le conducteur du bateau tamponneur que je devine au ton de la voix. Les occupants du bateau s’en vont ensuite, visiblement encore mécontents. Max m’apprend qu’ils avaient l’air saouls et qu’il était de toute façon impossible de discuter avec eux. L’incident est clos, même si je sens Max encore contrarié. Nous repartons doucement et arrivons au lodge vers 20 h, les convives étant au dessert.

A table, je fais connaissance avec un couple belge qui vient d’arriver. Contente de pouvoir parler ma langue natale, je m’entretiens donc avec eux et ils m’apprennent qu’ils sont contrariés étant donné qu’ils ont payé pour aller à l’Amazone Lodge et qu’ils se retrouvent ici sans autre explication. Ils me demandent si je peux m’enquérir auprès de Max pour savoir ce qui s’est passé. Max arrive entre-temps et demande à me voir d’urgence. Je m’éclipse donc avec lui et il m’explique une sombre histoire de changement de propriétaire de l’Amazone Lodge qui n’a pas gardé les réservations des clients de l’ancien, le nouveau propriétaire étant un de ses amis. Bref, ça a l’air un peu mafieux leur histoire. En tout cas, il me demande de ne rien dire à ce propos aux Belges. Bon, voilà que je suis dans les confidences du chef avec ses cachotteries à propos de l’organisation des excursions pour les clients. Je n’aime pas mentir ni cacher la vérité mais je m’y vois contrainte et forcée, ne souhaitant pas causer de problèmes à Max par mon intermédiaire sur le déroulement des événements… J’étais contente d’avoir des gens à qui parler français et me voilà obligée de faire attention à ce que je leur dis sous peine de faire des gaffes. Je trouve ma situation peu évidente encore une fois.

Je m’isole un peu sur mon banc préféré, un verre de vin à la main, me perdant dans la contemplation de la nuit et de tous ses bruits étranges lorsque Max me rejoint, l’air vraiment ennuyé. Je lui demande ce qui se passe, mais il a du mal à me le dire. Il finit par lâcher: « Le groupe d’Allemands avec lequel tu es censée partir en croisière demain ne t’aime pas et ne veut pas de toi sur le bateau. » Je manque de m’étouffer de surprise, totalement hébétée par cette annonce sortant de nulle part. Je n’ai jamais eu l’occasion d’échanger ne serait-ce qu’un mot avec ce groupe qui reste très solitaire depuis son arrivée ici. Comment peuvent-ils émettre un avis sur moi alors qu’ils ne me connaissent pas? La requête viendrait visiblement des femmes que Max soupçonne d’être jalouses de mon statut particulier ici, ne voulant pas me voir tout le temps privilégiée devant leur nez. Bon, je savais que la jalousie de certaines personnes me jouerait des tours ici, mais de là à nous empêcher, Max et moi, de profiter de son propre bateau, j’avoue que je ne l’aurais pas imaginé. Max est furieux et choqué que l’on m’interdise, à moi et à lui par la même occasion, de jouir de cette croisière de 4 jours, mais il se voit contraint d’accepter leur demande de peur de complications aussi bien pour eux que pour nous. Je le rassure en lui disant que je ne souhaite aucunement m’imposer à des gens qui ne veulent pas de ma présence, surtout sur un bateau de 12 m de long durant 4 jours! C’est bien mieux qu’ils l’aient exprimé de vive voix, au moins c’est clair. Qu’ils aillent faire leur croisière sans nous, nous trouverons bien autre chose! Toute l’équipe de Max, au courant de l’histoire, vient me témoigner sa sympathie et je les rassure en disant que je ne le prends pas personnellement, d’autant plus qu’ils ne me connaissent pas!

Pour nous changer les idées, Max et moi sautons dans la rivière pour un bain de minuit, éclairés seulement par les étoiles filantes dans le ciel. Ca nous calme aussitôt, la magie des lieux nous ensorcelant immédiatement. Comment rester frustrés ou malheureux dans un endroit pareil? J’oublie tous mes tracas et me remets aux mains de la nature et de l’univers qui saura bien quoi faire de moi…

Toutes les chambres sont occupées par les touristes cette nuit, nous devrons donc, Max et moi, dormir dans les hamacs du chapiteau avec le personnel. Pas de problème, ça ne me dérange pas, je dors n’importe où! Par contre, c’était sans compter sur les ronflements sonores de mes amis brésiliens, à réveiller un mort. Malgré mes boules Quiès, j’ai un mal fou à m’endormir. On repassera pour profiter des bruits nocturnes de la forêt cette fois-ci…

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