Le 8 octobre 2009
Réveillée vers 8h, je pars avec mes bagages au lieu de rendez-vous fixé pour retrouver James et Jean-Noël, un Français d’une cinquantaine d’années que j’ai rencontré hier soir également et qui souhaitait se joindre à nous pour notre excursion à Auroville. Plus on est de fous…
Jean-Noël me rejoint vers 9h comme prévu mais James aura quasiment une heure de retard. Après m’avoir laissée hier soir, il a continué à boire des coups dans un autre bar alors, forcément, le réveil est un peu difficile ce matin. Je petit-déjeune d’une succulente crêpe nutella-bananes accompagnée de fruits frais et d’un yaourt, le tout absolument délicieux, puis nous partons en taxi en direction de cette légende que représente Auroville. On en a tous entendu de toutes les couleurs sur cette cité internationale aux idéaux louables mais j’ai vraiment hâte de découvrir par moi-même ce qu’elle recèle en son sein.
Une demi-heure plus tard, nous voilà largués à l’office du tourisme d’Auroville. Nous demandons quelques explications sur la façon de s’y prendre ici étant donné que nous sommes intéressés par le bénévolat, mais nous ne savons pas trop quel domaine pourrait nous convenir. Nous sommes rapidement renvoyés à une liste de numéros de téléphone sans autre commentaire. Bonjour l’information ! Bref, ça ne nous aide pas beaucoup…
Nous posons alors nos sacs et prenons le temps de lire un peu les panneaux et de regarder les vidéos qui expliquent comment et pourquoi Auroville a été fondée. Voici le rêve de la fondatrice d’Auroville appelée « La Mère » : « Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n’aurait le droit de dire « Il est à moi », où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme citoyen du monde dans un lieu de paix, d’harmonie, de concorde ».
Dans Auroville, les enfants n’étudient pas en vue de diplômes ou de postes particuliers mais juste pour enrichir leurs facultés et s’en faire de nouvelles. La beauté sous toutes ses formes artistiques, peinture, sculpture, musique, littérature, est accessible à tous. Dans ce lieu idéal, l’argent ne devrait plus gouverner, la valeur individuelle se voulant d’une importance très supérieure à celle des richesses matérielles et de la position sociale. Le travail n’est donc pas un moyen de gagner sa vie, mais un moyen de s’exprimer et de développer ses capacités, tout en rendant service au reste du groupe. En résumé, le rêve de La Mère était d’ériger un lieu où les relations entre êtres humains, qui sont d’ordinaire presque exclusivement basées sur la concurrence et la lutte, seraient remplacées par des relations d’émulation, de collaboration et de réelle fraternité. Quel magnifique rêve ! Mais a-t-elle vraiment réussi à fonder cette cité idéale ?
Elle est arrivée ici, sur ce plateau autrefois désertique, qui s’est transformé, grâce aux efforts des premiers pionniers, en terre verdoyante sur laquelle progressivement une cité a pris forme. Au centre, un grand édifice sphérique d’apparence ultramoderne a été érigé et représente le centre spirituel et physique d’Auroville. On le nomme le Matrimandir. A présent, la ville compte 2000 habitants venus de l’Inde et d’une quarantaine d’autres pays, la France étant le pays le plus représenté après l’Inde, répartis sur plus de 20 km de résidence. Mais la capacité espérée de 40 000 habitants est loin d’être atteinte. La cité est séparée en diverses communes chargées de développer une activité particulière. Les recherches peuvent porter sur la régénération de l’environnement, l’agriculture organique, l’énergie renouvelable, les matériaux de construction, le développement des villages, les artisanats, les soins de santé, l’éducation, les échanges interculturels et bien d’autres domaines. La recherche progressive d’une économie sans argent et d’une organisation sans hiérarchie est la priorité d’Auroville.
La théorie est belle et vraiment louable, mais comment se fait-il que la cité n’attire pas autant de gens que prévu ? Pourquoi certains Auroviliens sont-ils partis en décrétant qu’ils ne remettraient plus les pieds dans cette ville ? Je n’ai pas encore la réponse à ces questions même si je commence à en apercevoir les contours. Les gens venant des quatre coins de la planète ont tout abandonné de leur vie d’avant pour venir s’installer avec leur famille à Auroville. Parfois, dans un esprit d’ouverture et de fraternité, avec la réelle intention de faire de cet endroit un monde meilleur. Pour d’autres, il s’agissait d’une fuite. Quoi qu’il en soit, il faut du courage ou bien une bonne dose de ras-le-bol pour pouvoir tout quitter et venir tout reconstruire ici. Et souvent il s’agissait de personnes à fort ego. Mettez plusieurs personnes à l’ego démesuré dans un même panier avec pour seule règle une totale démocratie, le résultat ne se fait pas sans heurts. De plus, la belle notion d’origine qui était de ne pas amener la valeur de l’argent à Auroville ne semble pas avoir été totalement maintenue, ce qui pose fondamentalement des problèmes de disparité. Certaines personnes peuvent acheter des maisons même si elles appartiennent à la communauté au final, il est donc impossible de les revendre. Des guest house pour touristes ont prospéré, apportant de l’argent aux gérants. Bref, l’idéal initial ne semble pas toujours été suivi au grand regret de certains.
Tout cela, nous l’apprenons par des vidéos ou des panneaux explicatifs pour les côtés positifs, j’ai entendu parler des aspects négatifs lors de ma retraite au Bodhi Zendo où séjournaient quelques Auroviliens. N’ayant réussi à obtenir aucune information sur l’endroit où nous pouvons loger et ce que nous pouvons faire ici pour nous rendre utiles, nous décidons de partir déjeuner au Solar Kitchen, une place où nous espérons avoir un peu plus de renseignements. Nous effectuons donc, à pied, notre sac à dos sur le dos, sous une chaleur écrasante, le km et demi qui nous sépare de la cantine. Arrivés sur place, transpirant à grosses gouttes, nous déposons avec soulagement notre maison portative dans un coin et nous nous précipitons dans la file pour recevoir notre nourriture. Mais on apprend avec stupéfaction que, vu que nous n’avons pas encore de guest house, nous sommes considérés comme de simples visiteurs de passage et la cantine nous est interdite… Il faut une carte spéciale délivrée par la guest house… On peut, par contre, aller à l’office du tourisme, nous apprend-on, où on peut manger sans restriction. Mais on vient de là ! Et personne n’a jugé utile de nous mentionner ce détail plus tôt… Il est hors de question que nous retournions là-bas à pied, nous sommes déjà à bout de forces et en nage à cause de cette chaleur.
Je prends les choses en main et propose à mes comparses de prendre un taxi et de nous poser dans une guest house en premier lieu. Nous aurons cette fameuse carte et nous serons débarrassés de nos lourds sacs. Par chance, un taxi arrive justement devant nous et 5 minutes plus tard, nous sommes rendus dans une mignonne guest house au milieu de la forêt. De petites maisons sont disséminées au milieu des arbres, je choisis de prendre une chambre au 1er étage d’une maisonnette accessible en ouvrant une trappe dans le toit. La pièce est toute mignonne et bien aménagée pour une mansarde. Les fenêtres, sans vitres, ne possèdent qu’un grillage anti-moustiques, ce qui permet d’entendre les sons de la forêt. Les arbres aux hautes racines étendent leurs branches juste à la hauteur de ma chambre : je me sens ainsi protégée par les forces de la nature, lovée dans les bras de ces arbres imposants.
La location de la chambre comprend les 3 repas, le lavage de linge et la location de vélo. Super ! Nous sautons dans la salle à manger pour dévorer notre repas tant attendu. Il était temps, la cuisine ferme ! Enfin restaurés et posés, nous voyons les choses plus sereinement à présent. Nous déplorons tout de même le peu d’information pratique qui nous a été donnée depuis notre arrivée à Auroville.
Nous décidons ensuite d’aller admirer le Matrimandir, l’âme d’Auroville comme l’a surnommé La Mère. Nous enfourchons nos vélos indiens à la selle branlante puis nous nous rendons jusqu’aux jardins où trône une immense sphère dorée aux allures de vaisseau spatial extraterrestre. Je ne sais pas quoi penser de cette œuvre d’art moderne qui jure un peu avec la terre battue rougeâtre des routes non asphaltées, la forêt vierge environnante, la simplicité des maisons autour et l’esprit de l’Inde qui est plutôt traditionnaliste que futuriste ! James et moi avons réservé pour une méditation demain, qui aura lieu à l’intérieur du Matrimandir, je suis bien curieuse de voir ce qu’il recèle à l’intérieur.
Nous décidons ensuite de nous rendre en vélo jusqu’à la mer qui se trouve à 7 kms de là. Nous voilà partis, en pleine chaleur, en direction de la plage d’Auroville. Nous mettons un moment pour y arriver, les routes en terre ne nous y aidant pas et le manque de panneaux indicatifs encore moins mais nous finissons par y arriver. Par contre, nous sommes rapidement déçus par la plage un peu sale et la mer trop brune à notre goût. Nous nous contenterons de prendre un pot dans le petit café du coin en écoutant les corbeaux piailler ainsi que la houle de la mer.
Il est temps de faire demi-tour, nous préférons arriver avant la nuit, les rues n’étant pas éclairées ici. Le chemin du retour s’avère plus difficile qu’à l’aller qui était fait de descentes principalement. Le problème des descentes dans un sens, c’est qu’il faut les remonter de l’autre. Jean-Noël peine particulièrement, je reste à ses côtés pour l’encourager, tandis que James file devant, la selle de son vélo lui mordant les fesses à chaque tour de pédale. Vive les vélos indiens ! Je ne m’en tire pas trop mal avec le mien, il est plutôt correct. Et moi qui n’aime pas le vélo d’habitude, je me surprends à vraiment apprécier notre longue promenade sur ces chemins terreux au milieu de la forêt. Nous finissons par arriver à la guest house juste avant la nuit, Jean-Noël ayant épuisé toutes ses forces dans ce pénible retour pour lui. Peut-être que s’il fumait moins aussi, ça aiderait !
Je saute sous une bonne douche rafraîchissante et rejoins mes amis pour le dîner, affamée après tous ces exercices de la journée. Je retrouve avec surprise une dame qui était avec moi à l’ashram d’Amma, nous échangeons un moment sur nos aventures respectives. Les garçons, quant à eux, font la connaissance d’une famille de Français qui ont tout quitté en France pour pouvoir s’installer ici. Ils viennent d’arriver à Auroville et sont un peu déçus par ce qu’ils voient. Je ne veux pas les juger, mais je suis surprise d’apprendre qu’ils sont venus comme ça, sans visiter l’endroit avant, avec l’idée de s’installer ici, avec 2 enfants sous le bras ! Je trouve ça un peu cavalier. Surtout qu’on ne peut jamais être préparé à l’Inde par avance, il est nécessaire de venir sur place pour vraiment se rendre compte.
Nous finirons la soirée discutant dehors sur une table de jardin, essayant de chasser les moustiques comme nous pouvons. James et Jean-Noël déplorent le manque d’activités et trouvent ennuyeux de n’avoir rien à faire, même pas une bière à boire (l’alcool n’étant pas permis à Auroville). J’avoue ne pas ressentir le même ennui, je me trouve en pleine nature, pouvant me délecter des sons de la forêt nocturne, discuter avec les gens, lire un bon livre ou écrire un roman… Pour moi, il n’y a rien d’ennuyeux dans tout ça, au contraire. Tout le monde n’a pas la même façon d’employer son temps libre et je me rends compte que je ne connais pas vraiment l’ennui. Je trouve toujours quelque chose à faire ou à ne pas faire parfois, mais en aucun cas je n’éprouve un sentiment de solitude ou d’ennui. J’ai de la chance, je crois. Mes amis ont vraiment l’air de souffrir de n’avoir rien à faire après 19h30 le soir.
James et moi entamons une belle discussion suer le matérialisme des Européens, les effets d’une éventuelle crise financière encore plus grande que celle que nous traversons, la spiritualité, les gourous et ashrams. Il a une belle façon de voir les choses et j’aime ça. Il dit, par exemple, que la plus belle démonstration de spiritualité qu’il a eue en Inde, c’est lors d’un trajet en bus: une petite fille indienne lui a tapé sur l’épaule pour lui indiquer qu’il fallait qu’il descende à cet arrêt. Il a trouvé ça touchant, ce n’est pas en Europe qu’on voit cette démonstration de compassion à chaque coin de rue. Pour lui, ça vaut tous les textes de maître spirituel et ashram du monde. Il n’a pas tors. C’est ce que j’aime également en Inde : cette spontanéité qu’ont les gens à venir en aide, leur sens de l’hospitalité et leur curiosité à notre encontre.
Auroville semble être l’exception dans ce pays. Nous trouvons tous les deux que cette cité a l’air fermée sur elle-même, comme dans une bulle où de belles valeurs ont été instaurées mais qui ne souhaite pas être envahie par trop d’étrangers qui viendraient perturber leur mode de vie. Au contraire, je vois plutôt ça comme un bel exemple à suivre. Permettre au monde de connaître leurs idéaux et d’apprendre de leur façon de vivre feront partie de mes priorités. Mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas ici. Ils essaient de protéger leur acquis en se fermant au monde et je ne suis pas vraiment sûre qu’ils tendent beaucoup la main aux gens se trouvant en dehors de leur bulle. Mais c’est juste une impression que nous avons… Ce qui nous a frappés également, c’est que nous n’avons pas trouvé que les Auroviliens arboraient un visage particulièrement heureux et en paix. Mais peut-être sommes-nous mal tombés. La serveuse du bar de la plage ne nous a absolument pas paru aimable en tout cas !
Sur ces belles tergiversations, nous partons nous coucher tôt, au grand désespoir de mes compagnons.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Bonjour,
RépondreSupprimerJe dois me rendre à Auroville début décembre. Pouvez-vous me conseiller une guest house? La votre par exemple...
Mille mercis,
Didi
Il s'agissait de Center GuestHouse au centre d'Auroville. Bon séjour,
RépondreSupprimerEve-Laure
Salut,
RépondreSupprimerJe lis ton blog et tes aventures depuis tiruvanamalai, pondy et auroville... tu es une belle voyageuse, ton regard est juste sur bien des points...
Olivier