Pondichéry

Le 6 octobre 2009

A ma grande surprise, le bus arrive à Pondichéry beaucoup plus tôt que prévu et nous lâche dans la rue à 4h du matin! Décidément, je n’ai pas de chance avec les transports, moi, soit ils partent à une heure indue, soit ils nous éjectent dans une ville inconnue à un moment où rien n’est ouvert.

On m’a parlé d’une agréable guest house tenue par l’ashram de la ville qui se situe en bord de mer. Je me fais conduire jusque là-bas par un rickshaw mais je trouve la porte close. Je frappe de façon insistante, je n’ai aucune envie de me retrouver à la rue à cette heure. On finit par m’ouvrir mais on m’annonce que la réception est fermée et qu’il est impossible de me donner une chambre à cette heure. J’insiste pour entrer, quitte à attendre quelque part à l’intérieur, en sécurité. Il accepte et me présente une petite salle d’attente meublée de quelques chaises. Je n’hésite pas une seconde, je sors mon sac de couchage et m’étends à même le sol, sur le carrelage. Malgré la dureté du sol, ça reste plus confortable que le bus. J’essaie de trouver le sommeil malgré les moustiques qui m’attaquent et mes membres endoloris, et pour la première fois depuis mon arrivée en Inde, je commence à être fatiguée de ce pays…

A 7h, j’ouvre un œil, surprise d’avoir pu dormir presque 3 heures de plus au final. Je me félicite moi-même de ma capacité d’adaptation aux différentes circonstances puis me rends à la réception ouverte à présent. Mais ils m’annoncent que l’hôtel est plein pour le moment et qu’il faut que je revienne vers 9h pour m’informer d’éventuels départs. Bon, voilà autre chose. Avant tout, je décide de prendre un café pour me remettre les idées en place. Je retourne une heure après à la réception, vers 8h pour voir si jamais une chambre s’est libérée entre-temps et je me fais rudement envoyer sur les roses par le réceptionniste qui me répète de manière dédaigneuse de revenir à 9h et pas avant. Ouh, il commence à m’énerver celui-là! Ce n’est pas comme si j’avais passé la moitié de la nuit dans son hall à même le carrelage! Il l’aura voulu, je m’en vais chercher ailleurs.

Je trouve un peu plus loin une guest house tout à fait correcte dans les mêmes prix. Ah, ça fait du bien de se poser quelque part dans une chambre décente avec un lit! Je saute sous la douche, j’en ai bien besoin après cette nuit de folie. Je remarque à présent que je n’ai pas été malade du voyage et que tout a l’air d’être rentré dans l’ordre côté digestion. Le charbon a fait son effet! Merci Raoul pour le tuyau… Ca aurait été le pompon si j’avais en plus été malade cette nuit.

Je pars ensuite visiter la ville après une petite séance de méditation qui m’a rendu mon énergie et c’est avec entrain que je déambule dans ces grandes rues larges au passé colonial français. Les noms des rues sont dans ma langue natale ainsi que certains noms d’hôtels ou de restaurants. Le tout agrémenté à la mode indienne… Ca fait du bien de retrouver un peu ses repères même si ça ne réside qu’au niveau de la langue. Ceci dit, cette ville a l’air plus calme que celles que j’ai visitées jusqu’à maintenant et ça me va très bien. Même son bord de mer au sable couleur rouille n’est pas rempli de monde comme on pourrait s’y attendre en Inde.

Je m’arrête dans une saladerie française pour prendre du riz accompagné de thon et tomates, ça me change agréablement de la nourriture indienne que je mange depuis presqu’un mois. Je termine avec un pain au chocolat d’une boulangerie française absolument exquis, même si mon estomac n’a pas l’air de l’apprécier autant que ça. Je compense avec un coca pour diluer le tout… Ca c’est du mélange de saveurs!

Je continue ensuite ma promenade sur la plage, dépasse l’immense statue de Gandhi puis m’arrête dans l’ashram de Sri Aurobindo, un petit complexe calme qui contraste agréablement avec le bruit de la ville. A l’intérieur, des bâtiments un peu austères, entourés de verdure tropicale, et au milieu de la cour trône le samadhi, le sanctuaire du maître spirituel et philosophe Sri Aurobindo lui-même ainsi que celui d’une Française appelée « la Mère » qui a repris cet ashram après la mort de Sri Aurobindo. Cette Française a également créé la ville d’Auroville dont j’ai déjà parlé auparavant et que je vais visiter demain.

Les dévots, en file indienne (c’est le cas de le dire), se succèdent pour se prosterner devant cette grande tombe de marbre blanc entièrement fleurie. Je m’assois dans un coin et pars dans ma méditation. L’énergie est particulière ici et vraiment très puissante. Dans ce silence total, malgré la foule qui se presse autour du sanctuaire, je vole dans mon monde intérieur, puisant l’énergie environnante pour aller encore plus en profondeur. Je me sens bien. Je reste plus d’une heure ainsi à profiter des lieux et à regarder les fidèles poser délicatement leur front sur la pierre tombale marbrée et s’asperger ensuite d’eau sacrée, ou bien toucher les fleurs d’un geste fugace avant de porter leurs mains à leurs yeux puis à leur cœur, dans un rituel indien connu d’eux seuls.

Je finis par réussir à partir de ce lieu un peu envoûtant, puis je décide de rentrer, je commence à être bien fatiguée, le manque de sommeil de ma nuit précédente se fait ressentir. Je m’allonge dans le joli jardin de la guest house qui n’a pas voulu me donner une chambre afin de profiter de la sérénité des lieux. Si on souhaite avoir du calme en Inde, rien de tel qu’un ashram où le silence est de mise. Il n’y a qu’au nom de la spiritualité que les Indiens réussissent à être discrets! Je somnole, doucement allongée dans l’herbe au soleil, les fourmis me piquant les doigts de temps en temps et les petits écureuils me regardant curieusement.. Je me sens vraiment en paix avec tout. A part peut-être au sujet de ma famille que je sais inquiète pour moi et qui souffre de m’imaginer seule en Inde, d’autant plus avec les histoires récentes qui me sont arrivées, en proie à quelques sectes bizarres qui n’attendent qu’un moment de faiblesse de ma part pour me dévorer vivante. Du coup, ça m’ennuie beaucoup de les savoir inquiets, surtout qu’il n’y a aucune raison, tout va vraiment bien de mon côté. Je suis parfaitement bien avec moi-même, heureuse d’être en Inde et d’apprendre autant de choses sur sa culture, sa spiritualité et ses mœurs. Bref, ils ont une fille heureuse! Mais je comprends leur inquiétude également, ce n’est pas facile de se rendre compte de la situation d’un pays étranger et inconnu lorsqu’on n’y vit pas. On a tendance à exagérer les choses dans l’imaginaire et pas toujours dans le bon côté!

Je rentre à l’hôtel me reposer un peu mais je m’empêche de dormir de peur d’être décalée pour cette nuit. Je pars ensuite me promener en bord de mer dans les lueurs du soleil couchant. J’aime Pondichéry, il y règne une douce atmosphère plutôt paisible en comparaison avec d’autres villes indiennes et son côté français me ravit. Je passe devant un salon de coiffure et je décide, là, comme ça, de me faire couper les cheveux. J’avais l’intention d’y aller en France mais en fin de compte, c’est tellement moins cher ici! Bon, par contre, je suis téméraire parce qu’il y a une chance sur deux pour que ma coupe soit ratée… Au pire je la ferai arranger en France! Une jeune Indienne s’occupe de moi immédiatement et même si elle s’y prend bizarrement quelquefois, le résultat est très réussi! Je suis contente de ma nouvelle tête. Ca va faire du bien à mes cheveux qui commençaient à s’assécher et s’alourdir.

Toute guillerette, je passe rapidement sur Internet et tombe sur un mail de ma sœur qui confirme et amplifie mes craintes à propos de l’inquiétude de mes parents en m’expliquant en long et en large à quel point ils sont affectés de me savoir seule et potentiellement en danger dans ce pays de fous aux mœurs incompréhensibles. Elle me demande de rentrer plus tôt en France pour les rassurer. M’apercevant alors que ma famille a l’air en proie à de grandes angoisses à mon sujet depuis mon arrivée en Inde, une profonde tristesse m’envahit tout à coup; les larmes me montent aussitôt aux yeux sans que je réussisse à les dominer. Me voilà pleurant à chaudes larmes dans le cybercafé! Je crois que la fatigue due à la nuit précédente n’aide en rien à éviter ce débordement d’émotions et ratatine de ce fait mes belles pensées de quiétude d’esprit et d’adéquation avec le monde entier en deux secondes… Je saute sur le téléphone pour les appeler aussitôt sans même m’inquiéter du décalage horaire, mais tombe sur leur répondeur. Déçue, je m’enquiers quand même de l’heure qu’il est en France, mais on est en milieu d’après-midi, ils doivent être partis faire des courses. Heureusement que je n’ai pas appelé au milieu de leur nuit, ça les aurait certainement beaucoup rassurés de se faire réveiller pour m’entendre à moitié en pleurs au téléphone…

Je pars manger un morceau dans le restaurant du coin mais le cœur n’y est pas. J’imagine mes parents s’inquiétant à mon sujet jusqu’à en perdre le sommeil, exagérant sûrement (enfin j’espère!) les faits réels aussi de mon côté. Etre la cause de leur souffrance me paraît totalement intolérable. Je m’en veux de leur faire subir ce chagrin même si c’est bien involontaire de ma part. Prise dans ma propre inquiétude, je dois faire une tête de dix pieds de long vu qu’un français assis seul à la table d’à côté me demande si ça va. Il m’invite à sa table pour discuter, j’accepte avec plaisir, ça me changera les idées. Malheureusement, mon nouveau compagnon se révèle bien vite un « maudit Français » comme on les appelle au Québec, le genre de personne critiquant tout, surtout les gens du pays qu’il visite. Lassée de ses jérémiades, je finis par lui demander pourquoi il vient en Inde s’il n’aime rien dans ce pays. Et là, je ne sais comment, il diverge sur les Marocains en France, disant que c’est une calamité, etc… J’en ai assez entendu et je n’ai vraiment pas la tête à ça ce soir. Je prends congé et retourne essayer de téléphoner à mes parents.

Mon père décroche à ma plus grande joie! Quel bonheur de pouvoir leur parler de vive voix après tous ces échanges seulement écrits depuis mon départ! Ils ont l’air d’aller pas trop mal, même s’ils s’avouent inquiets à mon sujet, aussi bien sur ma sécurité physique que psychique. Ils ne me trouvent pas toujours rationnelle dans mes écrits. Je m’aperçois alors avec stupeur que certains de mes récits ont été mal interprétés. Non, je n’ai pas décidé sur un coup de tête de quitter l’ashram d’Amma à 1h30 du matin, je n’avais tout simplement pas le choix sur l’heure, il n’existe qu’un seul train par jour qui part toujours à cette même heure indue. Non, je ne suis pas en train de prier Amma tous les jours, j’ai pensé à elle juste quand j’ai été prise de panique parce que je venais de la quitter, tout en pensant évidemment à ma famille également. Non, elle ne remplace pas ma propre mère dans mon cœur, même si elle m’a murmuré « ma fille chérie » dans l’oreille, elle le dit en effet à tout le monde et ces mots n’ont pas de signification particulière pour moi, ce n’est pas ça qui m’a touchée, c’est l’énergie qu’elle dégageait. Oui, je pourrais chercher ma vérité ailleurs qu’en Inde, dans un pays moins risqué (quoique je ne sois pas persuadée que la France soit plus sécuritaire que l’Inde pour une femme seule) mais ça irait moins vite, l’énergie n’étant pas la même et la culture étant plus fermée en France sur tout ce qui a trait à la spiritualité par rapport à l’Inde. Et non, je ne rentrerai pas en France plus tôt (ça c’était une demande de ma sœur, pas de mes parents), c’est le voyage de ma vie ici, un voyage initiatique qui va m’ouvrir beaucoup de portes sur moi-même, je me refuse à tout abandonner maintenant. Et je suis désolée de ne pas accorder autant de temps à ma famille que j’en ai consacré à l’Inde (je ne passe au final qu’un peu plus de deux semaines en France) mais j’ai besoin de ce voyage ici pour ma recherche personnelle. D’en discuter de vive voix permet de clarifier un peu les choses, même si j’avoue être toujours à fleur de peau et le fait de lâcher un sanglot au téléphone de temps en temps doit encore plus les inquiéter, et je m’en veux de ne pas réussir à les rassurer comme il faudrait. Ce sont eux au final qui me disent de ne pas m’inquiéter pour eux, ils me font confiance et on discutera de tout ça ensemble à mon retour en France. Ils me font promettre de profiter de mon voyage sans me faire de soucis à leur égard. Rassurée, je raccroche, en nage, tout aussi bien à cause de la chaleur de la cabine téléphonique que des débordements d’émotions contre lesquelles je luttais. J’ai encore du chemin à faire pour atteindre le paix de l’esprit, moi! Je pars me coucher, lessivée… J’ai du mal à trouver le sommeil pourtant, ressassant encore ces derniers événements dans ma tête. J’essaie de lâcher prise, de rationaliser en me disant que ça ne sert à rien de gamberger, de mettre en pratique ma théorie zen, mais ce n’est pas évident dans ce cas-ci. Je réussis quand même à prendre un peu de recul par rapport à la situation et m’aperçois que la peur s’est infiltrée en moi subrepticement… Jusque-là, ma famille était ma base, mon socle, mes racines solides sur lesquelles je pouvais m’appuyer en toute confiance, me sachant épaulée et soutenue, quoi que j’entreprenne. Mais là, ma base chancelle. Ils essaient de toutes leurs force de me comprendre mais n’y arrivent pas, ces histoires de méditation, d’ashram, d’Amma et de dévotion dépassant leur seuil de compréhension et leur faisant peur par la même occasion. Du coup, j’avance seule pour la première fois de ma vie sans appui de leur part, même si je sais qu’ils sont toujours là à veiller sur moi naturellement, mais je veux dire que pour la première fois depuis ma naissance, je ne me sens pas soutenue par eux dans mon projet de recherche personnelle. Et m’en rendre compte me procure un grand sentiment de malaise et de peur. Je sais bien qu'ils ne peuvent pas toujours être d'accord avec moi sur tout et c'est bien normal. N'empêche que ce n'est pas evident à gérer... Décidément, l’Inde me fait travailler sur plein de choses. Je finis par m’endormir, l’esprit un peu agité par tout ça.

1 commentaire:

  1. Saisissez simplement la racine,
    Sans vous souciez des branches,
    Comme le joyau limpide,
    Avale le rayon de lune.
    Yoka Daichi

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