Le 29 septembre 2009
Je trouve encore le courage de me lever une dernière fois à 5h du matin afin d’assister à l’archana. C’est comme une douce routine pour moi et j’aime ça. Comme une automate, je fais ensuite la queue dans la file des femmes pour recevoir ma tasse de chaï puis je pars méditer sur la plage. Je n’y reste pas longtemps, la pluie chassant les matinaux de leur concentration. Je retourne donc me coucher.
A 8h, Jean-Roch et moi nous rendons à notre seva qui n’avait pas eu lieu depuis deux jours à cause de l’anniversaire d’Amma. Je retrouve avec plaisir mes compères, nous rions de bon cœur lors de notre service de petit déjeuner, notre corvée quotidienne. Je dis ensuite au revoir à l’équipe, je pars ce soir pour de nouvelles aventures…
Nous nous retrouvons ensuite tous dans le temple pour attendre Amma qui, comme tous les mardis, donne le repas à chacun. Je m’aperçois alors que cela fait plus d’une semaine que je suis ici, j’ai perdu la notion du temps à l’ashram. Je me sens presque chez moi ici, tout m’est familier, je me suis confinée dans une routine agréable, mon ami Jean-Roch est avec moi… Ce n’est pas évident de trouver la volonté de repartir sur les routes, dans l’inconnu, seule. Mais je sais que c’est ce que je dois faire.
Amma arrive dans le temple. Nous méditons d’abord tous ensemble puis elle nous fait un bref discours, elle a visiblement attrapé un mal de gorge lors de son anniversaire. Donner le darshan durant 18h d’affilée en serrant tout le monde dans ses bras, il y a de quoi attraper les microbes des dévots ! Le repas nous est ensuite distribué par Amma elle-même que je trouve bien fatiguée en la voyant de près. Elle n’arrête donc jamais ?
Le repas terminé vers les 15h, le temps que tout le monde soit servi, je vaque à mes préparatifs de départ qui s’avèrent plus compliqués que prévus. Le bureau pour rendre mes draps est fermé et il m’est impossible de réserver mon billet de train de ce soir par Internet, ma carte bancaire étant refusée. Bon… Mon train pour Madurai partant à 1h30 du matin, ça m’ennuie un peu d’arriver à la gare à une heure indue sans réservation mais bon… Je n’ai pas le choix ! Je réussis quand même à réserver un taxi pour qu’il vienne me chercher à minuit à l’ashram, ainsi qu’à m’assurer que les grilles de mon immeuble resteront ouvertes après 23h afin que je puisse sortir. C’est toute une organisation de partir d’ici !
Le soir venu, nous méditons un peu sur la plage, tout en assistant à l’un des plus beaux couchers de soleil admiré ici. J’avoue m’endormir sur les bhajans (chants d’Amma), ma petite nuit se faisant douloureusement ressentir. J’aimerais pouvoir profiter une dernière fois des chants semblant descendre d’un autre monde, mais je m’enfonce inexorablement dans mon siège malgré les gentils coups de coude de Jean-Roch. Le souci, c’est que les garçons se couchent assez tard le soir, ne se levant pas à 5h du matin, eux ! Du coup, je suis leur rythme mais c’est un peu difficile. C’est aussi un peu pour cette raison que je pars, je veux écouter mon propre rythme sans dépendre de celui des autres. Là, je veux tout faire en même temps : me consacrer à la méditation et passer du temps avec mes amis. Les deux ne sont pas faisables sérieusement en même temps ici. Je pars finalement faire une petite sieste avant la fin des bhajans, n’en pouvant plus.
Le repas ensuite avalé, François, Jean-Roch et moi nous rendons chez un swami réunionnais qui organise de façon informelle de petites réunions le soir dans sa chambre pour les Français qui souhaitent avoir des informations dans leur langue sur Amma ou sur tout autre sujet. Nous arrivons devant un gros bonhomme à la peau noire, à la longue barbe blanche, drapé d’une toile orange, qui nous accueille chaleureusement dans sa pièce. Son regard brillant d’intelligence, son sourire enfantin et l’énergie de force tranquille qui émane lui me séduisent aussitôt. Il nous raconte plein d’anecdotes sur Amma ou sur son ashram qu’il dirige à la Réunion. Il est drôle, patient, doux, comme si n’importe quel élément glissait sur lui sans que ça puisse l’affecter outre mesure. J’éprouve immédiatement une grande sympathie pour cet homme dit « réalisé ». Le terme « être réalisé » signifie que tu as compris ce que tu faisais sur cette Terre, que tout est devenu évident pour toi et que tu n’es plus dépendant de tes propres émotions. Ca ne veut pas dire que tu n’en as plus, simplement qu’elles ne t’affectent plus. Il est en adéquation totale avec ce qui est dans le moment présent, pas ce qui aurait dû être ou ce qui sera. Il a compris le secret du bonheur et de la plénitude…
Nous restons auprès de lui, captivés par chacune de ses paroles, jusqu’à 23h45, heure à laquelle il me faut partir, mon taxi ne tardant pas à arriver. J’ai du mal à quitter la pièce du swami, son attraction étant vraiment forte. Nous finissons tout de même par partir, mes amis m’accompagnant pour attendre en bas de l’immeuble. Le taxi arrive, les au-revoir avec Jean-Roch ne sont pas faciles, je ne sais pas quand je vais pouvoir le revoir. Il est parti pour plusieurs mois, voire des années en voyage… Un jour en Asie peut-être ! Ou bien en France…
Jean-Roch demande au chauffeur de taxi de faire attention à moi puis nous quittons l’ashram dans la nuit noire. Le chauffeur tient absolument à me faire la conversation alors que je n’y tiens pas particulièrement. Une sonnette d’alarme s’allume dans ma tête lorsqu’il me demande si je veux m’asseoir à côté de lui, sur le siège passager. Je refuse poliment tout en m’apercevant que je suis seule, au milieu de la nuit, dans une voiture s’étant présentée comme un taxi mais qui ne présente aucun signe d’appartenance à une quelconque compagnie… Les voitures de taxi n’ont pas de signe distinctif en Inde, ce sont des automobiles comme les autres. Ils ne jugent visiblement pas utile d’avoir un écriteau « taxi » sur le dessus de leur voiture. Je ne me suis pas méfiée, la voiture m’attendant dans l’ashram. Mais là, mon cerveau se met à tourner à vive allure… Qu’est-ce que je fais si ça commence à mal tourner ? Et a-t-il pris la bonne direction ? La ville de Kayamkulam est à 14 kms seulement de l’ashram et ça fait plus de 20 minutes que l’on roule… Un vent de panique commence à se resserrer autour de moi. Contre toute attente et presque malgré moi, je me mets intérieurement à demander la protection d’Amma. C’est la seule chose qui me vient à l’esprit dans ce moment d’angoisse. Je me sens immédiatement un peu rassurée, ce qui me permet de mieux rationaliser la situation.
Alors qu’il continue à me faire la conversation, je décide de glisser furtivement l’existence d’un mari qui m’attend à la gare impatiemment. Il me fait répéter cette phrase comme s’il voulait être sûr de la comprendre, puis se tait soudainement, met la musique à fond et appuie sur le champignon. Je scrute les panneaux de direction et aperçois avec un immense soulagement qu’on est sur la bonne route. Par contre, il a dû faire un beau détour parce que la ville est indiquée à une distance de 10 kms alors que ça fait un moment qu’on roule. Malgré tout, j’attends impatiemment de sortir de ce taxi qui ne me plaît absolument pas. Je reste silencieuse, lui aussi, semblant juger qu’il n’est plus nécessaire de faire des efforts de conversation. Ca me va très bien.
Nous finissons enfin par arriver jusqu’à la gare après un temps qui me paraît interminable. Il me demande un prix faramineux pour la course sous prétexte que c’est la nuit, je paie sans broncher, soucieuse uniquement de quitter cette atmosphère angoissante. Je sors quasiment en courant de la voiture pour me réfugier… dans une gare perdue au milieu d’un petit village à 1h du matin. Pas terrible question réconfort… Des hommes dorment par terre un peu partout, l’arrivée d’une femme blanche, seule, les sortant quelque peu de leur sommeil. J’ai la désagréable impression d’être une proie lâchée parmi les fauves… Est-ce mon séjour tranquille et sécurisant à l’ashram qui m’a rendue peureuse ou bien est-ce la situation qui est particulière ? Bref, je n’en mène pas large. Je prends mon billet au guichet et tandis que j’essaie de comprendre ce qu’on me dit à travers la grille, un Indien me colle par derrière, un peu trop à mon goût. Je le repousse brutalement, il faut arrêter deux secondes de me pomper l’air là ! La guichetière ne veut pas me donner de lit dans le train, elle ne peut me vendre qu’une place normale et c’est à moi de voir avec le contrôleur directement dans le wagon pour voir s’il reste des lits de libres. Bon…
Je traverse les rails à pied, chose impensable en Occident mais tout à fait normale en Inde, puis me réfugie auprès d’une famille, demandant protection du regard aux femmes du clan. Elles semblent comprendre et restent auprès de moi, me procurant une douce sensation de sécurité. Je reprends un peu mes esprits et me sermonne moi-même : ce n’est pas très prudent de se retrouver seule à 2h du matin, dans une gare paumée, à attendre un hypothétique train couchette dans lequel je ne suis même pas sûre d’avoir un lit. Si je me retrouve en 2de classe sur des sièges avec des Indiens partout, je ne donne pas cher de ma peau. En plus, il pleut.
Le train finit par entrer en gare avec une demi-heure de retard. Je monte dans un wagon au hasard, je tombe sur des dizaines d’Indiens s’entassant tant bien que mal sur des chaises inconfortables. Certains sont carrément couchés dans l’allée, me donnant beaucoup de mal à réussir à avancer sans leur marcher dessus. Il est hors de question que je passe le reste de la nuit dans ce genre de wagon en tout cas. Je finis tant bien que mal par atteindre le wagon-lit, toutes les lumières sont éteintes, je cherche à tâtons mon chemin. Ca ne va pas être évident de trouver un contrôleur encore réveillé à cette heure indue.
Finalement, un homme m’interpelle et me demande mon ticket. Je lui explique ma demande d’accéder à une couchette et de lui payer la différence. Il accepte et me montre un lit vide tout en bas dans un compartiment de six couchettes. J’essaie de négocier un banc plus en hauteur, histoire de ne pas me faire ennuyer par des Indiens, le matin de bonne heure, mais il n’y a rien à faire, il ne veut me donner que celui-ci. Bon, ça va, je n’en peux plus des négociations, je veux juste me coucher. Je m’étends sur ma couchette en plastique, sors mon petit oreiller portatif de mon sac, me rentre les boules Quiès jusqu’au fond des oreilles et m’endors aussitôt, tandis que le train démarre vers de nouvelles contrées inconnues. Que me réserve la suite ?
En tout cas, je suis contente de me retrouver dans ce lit inconfortable, saine et sauve, ayant eu plus peur qu’autre chose au final. Merci à mon ange gardien !
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Allo Eve,
RépondreSupprimerJ'ai fait ce même trajet et je me souviens de cette gare perdue où j'ai récité mon mantra dans l'attente de ce train de nuit pour Madurai...Si tu recroise Amma, pense à lui en demander un...
J'ai communiqué ton blog aux dévots d'Amma du Québec alors nos prières t'accompagnent et plusieurs m'ont mentionné avoir hate de connaitre la suite.
A+ Raoul
Je me retrouve..."par hasard"...à lire le récit de tes escapades, qui me rappellent qq souvenirs!...
RépondreSupprimerEn regardant les commentaires, je m'aperçois que c'est mon cher ami Raoul, qui a laissé un message...le monde est tout petit :-)