Zazen … et silence

Le 2 octobre 2009

Blottie sous mes deux couvertures, je sors doucement de mon sommeil au son des cloches qui retentissent dehors. Il est 5h du matin et il faut se préparer pour notre méditation de 5h30. Un peu hagards et toujours sans un mot, nous nous retrouvons devant le Zendo afin de commencer notre rituel. On enlève nos chaussures, saluons la statue de Bouddha, passons derrière les coussins afin d’atteindre notre place puis attendons debout que les trois sons de gong se terminent. S’ensuivent alors trois prosternations agenouillées devant Bouddha puis nous pouvons nous asseoir en lotus pour commencer la méditation.

Je tiens à faire une parenthèse sur l’aspect prosternation que je découvre ici dans cette pratique zen. En fait, je l’ai vu faire plusieurs fois, notamment chez Amma mais je n’avais jusque-là jamais été contrainte de l’exécuter moi-même. Et j’avoue que l’idée me posait un problème. M’agenouiller ou me prosterner devant une idole en signe de respect à ce qui est plus digne de respect que moi-même ne m’a jamais attirée. Je comparais cette pratique à du rabaissement ou bien à une sorte de soumission tacite qui ne me convenait guère. Or je suis tombée sur un livre à la bibliothèque du centre qui parle du zen et de sa mise en pratique et ça m’a aidée à m’enlever cette fausse croyance de l’esprit. Dans l’optique du zen, on ne se prosterne pas par soumission mais il s’agit plus d’une façon de lâcher prise, de rabaisser son ego et d’apprendre l’humilité pour soi-même. La pratique du zen dit que chacun d’entre nous est Bouddha, donc nous nous prosternons en fait devant nous-mêmes… Cette idée n’est pas évidente à expliquer mais je la comprends ou plutôt la ressens et ça m’a aidée à vaincre mes réticences à ce sujet.

Nous méditons 3h ce matin, entrecoupées d’un petit déjeuner à 7h, d’un seva à 8h et d’une pause café à 9h. Pour mon seva (ou tâche bénévole), j’ai été affectée au jardin japonais. Quelle joie ! Tout le monde rêve d’avoir ce seva, j’ai de la chance. En plus, un rayon de soleil pointe timidement le bout de son nez, ce qui illumine d’un coup le jardin zen et son banc de sable, dans lequel sont soigneusement dessinés des cercles en escargot. Je suis chargée d’enlever les feuilles mortes et mauvaises herbes du petit jardin d’à côté. Comme tout jardin japonais qui se respecte, les brins d’herbe verte fraîchement coupés doivent former un doux tapis moelleux sans intrus pour déranger cette perfection. A genoux dans l’herbe, pieds nus, j’entreprends d’extirper une à une les mauvaises plantes de ce petit lopin de terre. Je pensais que ce serait vite expédié mais ce n’est pas le cas du tout. Ca prend du temps de repérer chaque pissenlit ou trèfle qui s’est faufilé entre deux brins d’herbe. Mais, peu importe, je me surprends à adorer ma tâche. Seule dans le jardin, sans un bruit humain autour, profitant des sons de la nature, les pieds en contact avec la terre, une légère brise dansant doucement dans mes cheveux, je me sens en parfaite harmonie avec tout. Je suis, tout simplement. Ce seva est également une pratique du zen et une sorte de méditation par la même occasion. Je comprends aisément pourquoi. Je me remémore enfant, passant des heures à m’occuper de mes plantations de tomates et de radis. J’adorais ça ! Pourquoi ai-je arrêté depuis alors ? Trop affairée par ma vie quotidienne sans doute et par manque de jardin certainement… Mais j’en suis même arrivée à oublier que j’aimais ça ? Là, je me prends une belle claque dans la figure… Je me demandais même comment certaines personnes pouvaient passer tant de temps dans leur jardin, je trouvais que c’était une perte de temps ! Je me rends compte à présent que c’est leur méditation à eux et que je n’avais rien compris ! Je souris tout en continuant mon désherbage avec entrain : décidément, j’apprends beaucoup de choses ici ! Et le tout sans parler à personne… Mais en n’étant pas toute seule quand même. Le fait d’être en groupe maintient une dynamique d’énergie qui circule mais le travail s’effectue intérieurement pour chacun.

Le repas est prêt à 12h30 et nous déjeunons toujours en silence, savourant chaque mets plus qu’à son habitude, notre concentration n’étant pas dérangée par des conversations éparses. Moi qui engloutis toujours tout à toute allure, j’essaie de prendre mon temps et de savourer les plats qui sont d’ailleurs délicieux. Mais la tendance générale est plutôt de finir le repas le plus rapidement possible pour mes convives, comme s’il y avait une certaine gêne pour certains d’entre eux à manger en silence. Moi, ça ne me dérange pas, au contraire ! Il y a une chose toutefois qui me choque un peu ici, c’est que les femmes qui animent cette session de zen ne me donnent pas du tout l’impression d’être zen dans leur vie quotidienne. Les traits tirés, le sourire froid et le visage glacial, elles me paraissent plutôt sorties d’une prison que d’un temple bouddhiste et elles n’arborent pas une plénitude et une paix d’esprit à toute épreuve. Enfin même si elles ne l’ont pas totalement mis en pratique pour elles-mêmes, elles l’expliquent bien, c’est l’essentiel. En fin de matinée, l’une d’elles nous fait une petite introduction au zen en anglais, ce qui reprend à peu de choses près ce que j’ai lu dans mon livre écrit en français qui s’intitule « Esprit zen, esprit neuf » de Suzuki.

Je pars me promener dans le jardin et me surprends moi-même à m’arrêter devant chaque fleur (et il y en a un paquet ici !) pour en admirer ses contours et saisir son essence. Je n’ai jamais été très attirée par les plantes en général jusqu’à présent, mais là, je prends le temps de les détailler, savourant la beauté de leur couleur et de leur forme, chose que je ne fais jamais d’habitude. Ici, c’est comme si le temps avait une autre valeur. On n’a rien d’autre à faire que de contempler la nature environnante… Nous ne travaillons pas, à part une heure de seva par jour, n’avons ni télévision, ni téléphone, ni Internet pour nous déranger, nous n’avons pas à nous préoccuper de notre nourriture, et ne sommes même pas obligés de socialiser avec notre voisin ! Nous avons tout le temps pour nous occuper de nous, réfléchir, lire, contempler et méditer. C’est la première fois que je me permets et que je me donne les moyens d’accéder à cet état de conscience sur moi-même. C’est un beau cadeau que je m’offre…

Nous reprenons le zazen à 15h pour 2h30 de méditation jusqu’au souper, entrecoupée d’une pause café. J’avoue que l’après-midi est plus dure que ce matin. Mes jambes me font souffrir à force de rester assise en tailleur durant des heures et ma concentration s’égare du coup. Sans parler de mon dos qui se voûte au fil des heures. Heureusement, les Japonais ont une pratique qui réveille et stimule les muscles des épaules. Une des femmes passe devant nous avec un grand bâton de bois à l’extrémité plate et si on la salue alors qu’elle se trouve à notre hauteur, elle se fait alors un malin plaisir de nous donner deux grands coups avec la partie plate du bâton sur l’arrière de chaque épaule, ce qui est censé dénouer les nœuds. Toujours curieuse de tout, je lui fais signe alors qu’elle passe devant moi, lui donnant alors la permission de m’en mettre deux belles dans le haut du dos. J’avoue que je serre un peu les dents, les coups retentissent fort sur mes épaules, me faisant un peu mal sur le coup, mais la douleur disparaissant vite. Et, en effet, j’ai beaucoup moins mal dans le dos par la suite ! Je la salue de nouveau très cérémonieusement, la remerciant ainsi de m’avoir mis une raclée, puis je continue ma méditation, le dos ragaillardi. Les séances de méditation durent chacune 25 minutes d’affilée, suivies d’une petite pause de 5 minutes, avant de reprendre une autre session de 25 minutes. Durant la courte pause, nous sommes encouragés à déambuler dans les couloirs ou sur la terrasse afin de détendre nos muscles. J’observe les gens et suis surprise d’en voir certains le visage fermé, en proie à ce qui pourrait ressembler à de la souffrance. Visiblement, certaines personnes n’apprécient pas de faire face à eux-mêmes, quelques vieux démons devant refaire surface intérieurement. De mon côté, tout va bien de ce côté-là, j’aurais plutôt envie de sourire à tout le monde et d’embrasser la Terre entière d’une grande accolade…

Au fur et à mesure des méditations, je me sens de plus en plus détachée de mon corps et surtout de mes courbatures. Elles sont toujours là mais j’en fais abstraction comme si ce n’était pas si important après tout. J’observe la douleur puis passe à autre chose ; je la laisse être, sans la laisser me déranger pour autant. C’est une étrange impression vraiment. En fait, non, je ne suis pas détachée de mon corps, je ne fais plus qu’un avec lui au contraire. Disons que mon esprit et mon corps se fondent en une seule entité, ce qui est une première pour moi. Et c’est une sensation merveilleuse… Je me surprends à sourire en pleine méditation, un sourire de bien-être.

Le souper est servi à 19h précises mais je n’ai pas vraiment faim. Ma gourmandise me poussera tout de même à prendre 3 chapatis avec de la soupe, même si je sens que je vais le regretter lors de ma digestion. Je reste ensuite un moment dehors dans la nuit, entourée de grillons sonores. Une dernière méditation de 25 minutes à 20h15 puis il est temps de prendre une rapide douche puis au dodo. La journée a été longue depuis mon réveil à 5h ce matin…

1 commentaire:

  1. Sortant d'une courte sesshin d'une journée, j'apprécie de lire ces lignes qui me rappellent la sesshin plus longue de cet été

    il est vrai que la salutation (gassho - mains jointes) a l'entrée du temple n'est pas pour une quelquonce idole ou personnage, mais plus vis à vis du Bouddha en l'humain, donc en nous, cette pratique nous amenant à devenir réellement humain

    mais pour la prosternation complète au sol, si ce n'est pas plus devant une idole (d'ailleurs il peut ne pas y avoir de statue et faire qd même la salutation ou la prosternation) c'est quand même devant quelque chose de plus grand que nous, ce nous étant l'égo, ce qq chose de plus grand étant l'éveil à vivre, étant la Vie

    dans la BD ZEM que je fais, son maître s'appelle Tsé , ce qui veut dire LA VIE en tibétain

    encore merci

    chaleureusement

    frédéric :)

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