La donneuse de bonbons

Le 23 septembre 2009

Soit mon réveil n’a pas sonné, soit je ne l’ai pas entendu mais j’ouvre un œil déconcerté vers 7h du matin. Jean-Roch dort encore à côté de moi et je me glisse furtivement hors de la chambre. Il pleut à verse dehors, je me réfugie dans un petit temple pour méditer mais mes pensées sont agitées ce matin. Je n’arrive pas à me concentrer. De toute façon, j’ai mon seva à faire à 8h. Ici à l’ashram, tous les résidents sont conviés à effectuer un seva de 2h par jour. Il s’agit d’une tâche à accomplir pour le bon déroulement de l’ashram. Ca peut être laver les sols, faire la cuisine, éplucher les légumes, faire la vaisselle ou la lessive… J’ai été affectée à servir le petit déjeuner le matin; je m’en sors plutôt bien. J’aurais pu devoir trier les déchets!

On m’explique brièvement mon rôle, je dois servir une demi-coupe ou une coupe entière de graines germées et épices variées à ceux qui le souhaitent. Le plus difficile étant de comprendre les requêtes de chacun vu les accents anglophones plutôt variés selon le pays d’origine. Et nombre d’entre eux ne sont pas commodes. Si je ne remplis pas la coupe à ras bord, je me le fais remarquer parfois hautainement. Mais bon, en règle générale, tout le monde est souriant et avenant, chacun sachant ce qu’un seva signifie: donner de son temps bénévolement pour le bon déroulement de l’ashram;

Le seva terminé à 10h, je pars à la recherche de Jean-Roch que je ne trouve nulle part. L’ashram est plutôt grand, il n’est pas facile de retrouver quelqu’un ici. Je m’arrête devant un orchestre improvisé de jeunes Espagnols chantant à la gloire d’Amma avec des instruments traditionnels. C’est joyeux, entraînant et très bien joué, j’adore! Je remonte ensuite à la chambre pour trouver Jean-Roch dormant comme un bébé, le décalage horaire l’ayant assommé. Je le réveille, étant donné que c’est l’heure de déjeuner, sinon il va rater le repas. Je tire par la main mon ami encore endormi, mais les épices indiennes finissent de le réveiller totalement. Nous prenons une petite tasse de jus d’herbe de blé comme digestif puis nous nous promenons un peu au hasard dans l’ashram. Une dame nous arrête pour nous demander si nous voulons aider Amma dans sa pratique du darshan. Depuis ce matin, la Sainte embrasse des milliers d’Indiens sans discontinuité, sans prendre une minute de repos. Le tour des Occidentaux viendra après, plus tard dans la soirée. Nous acceptons avec plaisir de servir Amma dans son cérémonial d’amour et demandons en quoi ça consiste. Il faut en fait mettre des bonbons dans la main d’Amma pour qu’elle puisse les donner aux personnes qu’elle embrasse. Tout est très codifié, il faut attendre qu’elle tende la main, lui poser avec notre main droite délicatement 3 bonbons dans la main gauche, notre temps n’excédant pas 2 minutes, une personne chargée d’un chronomètre nous dira quand arrêter. Je n’en reviens pas que tout soit autant réglé comme du papier à musique, surtout dans un pays comme l’Inde où l’anarchie est monnaie courante.

Jean-Roch et moi montons sur l’estrade, attendant notre tour patiemment. Je viens à peine de mettre un pied sur la scène et déjà un flot d’énergie me parcourt le corps des pieds à la tête. Ouf, ça déménage. Je serre la main de Jean-Roch qui me regarde, lisant mes pensées sans avoir besoin de parler. Partagés entre l’excitation d’être au côté d’Amma durant 2 minutes et l’anxiété de faire une bourde dans la tâche qui nous incombe, nous patientons sur notre petite chaise sur l’estrade. C’est presque notre tour, une dame nous réexplique comment procéder et nous demande de simuler le dépôt de bonbons dans sa main. Satisfaite de notre performance, elle nous permet d’aller vers Amma, Jean-Roch passant en premier. Agenouillée derrière lui, je regarde Jean-Roch déposer doucement les friandises dans la main tendue d’Amma. Tout effet de trac a disparu en moi et une grande paix m’envahit se diffusant dans tout mon corps. Deux minutes plus tard, le temps de Jean-Roch est écoulé, c’est à mon tour à présent. Attentive au moindre geste d’Amma, me permettant ainsi d’anticiper sa main vide tendue vers moi pour recueillir les bonbons, cette grande sérénité ne m’ayant pas quittée, je goûte chacune de ces deux minutes avec délectation. C’est un privilège d’être ici, aussi près d’elle, et j’apprécie ce moment. C’est indéniable, il émane quelque chose de puissant de cette femme.

Mes 2 minutes passent vite et il est déjà temps pour moi de laisser la place au suivant. J’entraîne Jean-Roch pour rester auprès d’elle encore un peu, nous nous asseyons derrière elle à quelques mètres seulement. Ma méditation est profonde et sereine encore une fois, comme si je me trouvais en plein milieu d’une bulle d’amour. Après vingt minutes, on me demande de partir pour laisser la place à d’autres. Je redescends donc les marches de l’estrade, le cœur léger et rempli de joie. Je prends Jean-Roch dans mes bras pour que nous échangions un peu de cette énergie mutuelle. Je suis bien. C’est étrange, chaque jour depuis mon arrivée à l’ashram, je me retrouve de façon fortuite à moins d’un mètre d’Amma durant quelques minutes. Certains fidèles ne demandent que ça et moi j’ai droit à ce cadeau quotidiennement. Etrange…

Nous partons ensuite nous promener dans le village voisin, sortant un peu de l’enceinte de l’ashram. Ca fait du bien de voir un autre cadre de temps en temps. Nous flânons et nous amusons avec les Indiens, Jean-Roch les complimentant sans cesse sur leur moustache, ce qui fait beaucoup rire nos amis. Ils ont le sens de l’humour, ces Indiens, je ne suis pas sûre qu’un Européen réagirait en riant si un passant dans la rue le complimentait sur sa coupe de cheveux par exemple.

Je pars méditer sur la plage comme un rituel quotidien maintenant au coucher du soleil. J’aime ce moment particulier où le ciel s’embrase avant d’annoncer la nuit. Nous retournons ensuite dans le grand hall voir où en est Amma avec le darshan. Depuis 10h du matin, elle embrasse des gens, les prenant un par un dans ses bras et donnant le même amour inconditionnel à chacun, comme une mère le ferait avec ses enfants. Il est 20h à présent et elle ne s’est pas interrompue une minute pour manger, se reposer ou même aller aux toilettes… C’est plutôt incroyable. Et elle arbore pour chacun le même sourire chargé d’amour et de compassion. Le tour des Indiens est terminé, c’est aux Occidentaux de passer à présent. Jean-Roch et moi faisons la queue patiemment tandis que des musiques traditionnelles retentissent dans le hall, les voix semblant monter vers les cieux et me transportant par la même occasion. Une heure plus tard, nous remontons sur l’estrade attendant notre câlin d’Amma. Un Indien se signe devant moi, comme ils le font devant une statue ou une vache sacrée. Je ne comprends pas la signification de ce geste à mon égard.

Ca y est, c’est notre tour. Je m’agenouille puis de façon plus délicate qu’hier, on me place dans les bras d’Amma. Elle me serre fort contre son cœur, en me murmurant encore une fois « Ma fille chérie » en français. Je me relève, le sourire aux lèvres. Contrairement à Jean-Roch, je ne ressens aucune montée d’émotions, juste cette grande paix et sérénité qui m’envahit dès que je me trouve à ses côtés. Plusieurs personnes sortent en pleurant de ce darshan intense. Il se passe quelque chose à ce moment-là, c’est certain. Nous restons, Jean-Roch et moi, à échanger nos impressions puis partons nous coucher. Il est plus de 22h. Et Amma est toujours en train de donner le darshan depuis 12h d’affilée.

2 commentaires:

  1. Quel plaisir de te lire
    et quelle expérience !!!!!
    Je t'embrasse,
    Elise

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  2. C'est extra. J'ai aussi ete dans les bras d'Amma a Paris y'a 5 ans et je crois que je n'oublierai jamais cette sensation. T'as beaucoup de chance de pouvoir la voir et la revoir pour approfondir ce sentiment en toi. J'espere que tout ca te fera le plus grand bien! Bizz Laurence

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