Le darshan d’Amma

Le 22 septembre 2009

Réveillée à 4h45, je me lève sans trop de difficulté malgré mon peu d’heures de sommeil. Je descends immédiatement au temple où a lieu l’archana, une méditation où on chante les 1000 noms de la Mère divine en sanskrit. J’avoue que psalmodier à 5h du matin des mots en sanskrit aux syllabes imprononçables n’est pas trop ma tasse de thé. Mais comme j’ai décidé de jouer le jeu tant que je serai dans cet ashram pour me conformer aux règles, je force ma concentration sur les paroles que les dévots chantent tout en méditant silencieusement.

Il faut bien une heure pour arriver au bout des 1000 noms à rallonge et j’avoue trouver le temps un peu long, surtout assise en tailleur sur ce carrelage froid. Je devrais m’acheter un petit coussin pour m’asseoir, j’aurais moins mal au dos. La méditation prend fin et tous les fidèles sortent en silence du temple. Un chai est servi pour chacun d’entre nous puis je me rends à la plage continuer ma méditation près de la mer, mon endroit préféré. Un cours de Chi Kong est proposé aux intéressés. J’ai toujours voulu essayer cet art martial. Parfait, je m’inscris. Durant 2h, nous pratiquons des exercices corporels visant à minimiser l’activité du mental et de se concentrer sur les mouvements et l’énergie qui les anime. La faim me tiraillant, n’ayant pas encore mangé depuis ce matin, je commence à trouver le temps un peu long même si j’apprécie les exercices qui me font le plus grand bien. Mais pas l’estomac vide!

A la fin du cours, je me rue au réfectoire où est servi le petit déjeuner. Il n’est que 9h30 du matin mais j’ai l’impression d’avoir presque achevé une journée entière! Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, paraît-il… Je discute avec des Français qui me racontent un peu leur histoire. Entre celle qui pense avoir vécu dans un camp de concentration dans une vie antérieure et celle qui est persuadée que son chat s’est réincarné en rat, j’ai comme l’impression d’être tombée dan un asile de fous. D’autres me parlent de leur dévotion à Amma, au point où ils en sont à laver les pieds de la Sainte et boire l’eau dite sacrée après. Je ne bois déjà pas l’eau courante depuis que je suis en Inde, ce n’est certainement pas en ajoutant des pieds sales, aussi sacrés soient-ils, que ça va me convaincre. J’ai l’impression que leur dévotion est tellement totale qu’ils se fondent dans leur foi en laissant de côté leur propre personnalité. Amma leur demanderait de sauter par la fenêtre, ils le feraient sans hésiter, sans la moindre once de discernement. Heureusement, Amma prône l’amour et la compassion, pas le suicide. Je n’en reste pas moins sceptique sur leur dévouement un peu trop fanatique pour moi. Amma elle-même leur demande de garder un peu la tête froide sur tout ça. Elle, symbole de l’humilité, ne cautionne pas ce genre d’aliénation et de dépendance spirituelle totale. Ce sont les dévots eux-mêmes qui partent là-dedans, ce n’est pas requis par Amma. Certains vont même jusqu’à donner toutes leurs possessions et leur fortune à l’ashram, n’ayant plus un centime en poche s’ils souhaitent faire marche arrière. Ca me paraît insensé…

Nous attendons ensuite Amma dans le temple principal. Des centaines de gens attendent silencieusement assis en tailleur à même le sol durant plusieurs heures. Le temps ne me paraît pas si long toutefois, je le passe en méditation ou bien en réflexion sur ce que je vis présentement. C’est vraiment une sensation étrange de se retrouver là, au milieu de tous ces dévots, attendant religieusement qu’elle entre dans le temple. Au bout de 2 heures d’attente, elle arrive soudain par une allée dans la foule qui s’ouvre juste devant moi. Elle arrive, je la vois, elle passe juste devant mon nez, mais je ne ressens rien cette fois, malgré sa proximité. Aucune énergie particulière, rien qu’une grande compassion pour ce petit bout de femme à l’air fatigué.

Elle nous parle durant un moment de la manière d’éduquer nos enfants, que ce soit en Inde ou en Europe: avec amour et compassion en leur montrant de bonnes valeurs dès leur plus jeune âge. Après son discours, tout se met rapidement en branle pour apporter le repas. De grandes marmites de riz et de légumes sont transportées dans le temple, les uns s’attelant à décrocher les bananes des immenses branches, d’autres servent les repas dans les assiettes qui sont ensuite données à Amma qui les donne elle-même à chacun d’entre nous. Tout se met en place très rapidement par des bénévoles et tout fonctionne étonnamment bien et efficacement, je suis sidérée de la rapidité avec laquelle tout cela se déroule. Une heure après, tout le monde a reçu son assiette bénie par Amma puis nous commençons à manger en même temps qu’elle.

Une fois terminé, le darshan est proposé aux nouveaux arrivants et à ceux qui partent aujourd’hui. Il s’agit d’une des spécialités d’Amma et c’est ce qui l’a rendue célèbre. Elle prend les gens dans ses bras et les serre avec amour. Elle le fait avec tout le monde sans exception, les jeunes, les vieux, les bébés, les malades. Elle a même embrassé les plaies des lépreux. Cette femme au cœur d’or est juste là pour donner de l’amour et ouvrir son cœur à tous. Je me mets dans la file, attendant mon tour qui arrive rapidement. On me demande ma langue maternelle, puis on me met à genoux tandis qu’on me pousse dans les bras d’Amma. Elle me murmure à l’oreille: « Ma fille chérie » en français, puis me lâche; elle est déjà passée au suivant. Tout s’est passé trop vite, j’ai du mal à analyser avec mon cerveau ce qui s’est passé. Je m’aperçois que j’ai du mal à me relever, mes jambes flageolent et tremblent. Que se passe-t-il? Je pars m’asseoir dans un coin du temple pour récupérer un peu. Mon cerveau essaie de comprendre, mais il pédale dans le vide. Ca ne s’est pas passé au niveau rationnel mais émotionnel. J’ai eu l’impression d’être branchée à une prise électrique durant quelques secondes et c’est plutôt perturbant.

Remise de mes émotions, sans vouloir m’appesantir davantage sur le fait de vouloir absolument mettre des mots sur cette sensation indescriptible, je rentre à la chambre, laver mon linge à la bonne vieille méthode du savon dans l’évier. Ca n’a rien d’évident de laver son linge de cette manière. Ca me prend plus d’une heure pour exécuter ma tâche correctement. Je rejoins ensuite l’office de tourisme pour une visite guidée de l’Ashram, que nous avions manquée hier. On nous apprend qu’Amma est l’une des plus importantes associations humanitaires du pays. Elle a donné plus de 30 millions de dollars pour le tsunami, ainsi que pour l’ouragan des Etats Unis. L’argent qu’elle récolte, dû à sa renommée, est quasiment entièrement reversé pour aider des gens dans le besoin. Amma, fille d’une famille de pêcheurs, a été reconnue Sainte très jeune; elle passait son temps à méditer et s’occuper des pauvres. En Inde, être reconnue Sainte lorsqu’on ne vient pas d’une haute classe et pour une femme de surcroît, n’a rien d’évident.

Nous partons ensuite visiter l’ashram. Ce grand complexe possède tout à l’intérieur de ses remparts, jusqu’aux supermarchés, banques, magasins et même une piscine! Malgré l’aspect chaotique propre à l’Inde, tout fonctionne parfaitement dans un esprit communautaire, je suis vraiment surprise par le roulement parfait de la machine. Indiens et Occidentaux se partagent l’espace sans problème malgré les cultures différentes et tout le monde respecte les us et coutumes de chacun. Certains ont fait vœu de silence pour un temps, ils arborent une étiquette qui indique qu’ils n’ouvriront pas la bouche pour parler. D’autres sont assis à méditer; d’autres récitent les 1000 noms de la mère divine en priant… Chacun est libre de ses faits et gestes sans aucun jugement de personne.

Je pars méditer sur la plage au coucher du soleil. Ensuite ce sont les bhajans, il s’agit de chants traditionnels chantés par Amma elle-même ce soir. Elle a une très belle voix transcendantale qui ravit mes oreilles. Les chants ne sont pas tous excellents mais certains me transportent vraiment ailleurs. La salle est comble, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Je ne vois pas vraiment pourquoi les deux sexes sont séparés de la sorte. A la fin du récital, je me lève et j’aperçois avec une joie sans nom mon ami Jean Roch qui me fait signe de loin. Il est arrivé! Nous sautons dans les bras l’un de l’autre avec ferveur, émus jusqu’aux larmes de nous retrouver ici, en plein milieu de l’Inde et dans cet ashram de surcroît. Nous soupons rapidement puis allons sur la plage nous raconter nos dernières aventures mutuelles. Quel bonheur de retrouver une personne familière dans ces lieux, tout me paraît plus simple depuis qu’il est là. Nous rions tout en nous racontant nos vies, c’est vraiment agréable cette complicité avec une personne proche, ça me fait le plus grand bien. Nous oublions notre fatigue du coup et papotons jusqu’à 23h. Bon, il est temps d’aller nous coucher maintenant. Nous ne pouvons nous empêcher de discuter un moment encore, allongés sur nos matelas dans notre chambre austère, puis nous nous endormons paisiblement, lovés dans les bras l’un de l’autre.

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