Mes premiers épaulards

Le 8 septembre 2009

Je me fais réveiller en sursaut ce matin, vers 6h, par mon iPod qui se met en route tout seul… Etrange! Mais la fatigue étant la plus forte, je me rendors aussitôt pour me réveiller une heure plus tard.

Le petit déjeuner avalé, nous repartons sur notre bateau sous un ciel nuageux et venteux cette fois. Jackie nous apprend qu’un groupe d’orques, appelées aussi épaulards, a été vu non loin d’ici dans le canal. Nous voilà donc partis dans cette direction. Il existe trois sortes d’orques: les résidents, les passagers ou migrateurs et les « offshores ». Les résidents sont les plus communs ici et ne mangent que du poisson. Les migrateurs se nourrissent de mammifères marins principalement comme des phoques, des marsouins, des dauphins et même des bébés baleines à bosse. Les offshores sont beaucoup plus rares et méconnus. On pense qu’ils ne mangent que du poisson également. On sait par contre qu’ils se déplacent par groupes de 30 et plus, contrairement aux résidents qui sont toujours entourés de leur famille constituée de 5 à 8 individus.

Le jeune autiste Reto et moi nous installons sur la poupe, scrutant la mer à la recherche de ces animaux légendaires. Jackie aperçoit leur souffle au loin et nous nous trouvons bientôt à leur niveau. Comment expliquer ce que je ressens alors… Voir ces animaux tels de gros dauphins à la dorsale émincée et pointue, plus affutée que celle d’un requin, fendre la mer, agiles et gracieux malgré leur taille, est un bonheur sans nom. Je monte sur le toit du bateau, suivie du garçon Reto qui ne me lâche plus d’une semelle depuis ce matin, ce qui ne me déplaît pas. Je l’aime bien ce petit bonhomme. D’en haut, nous pouvons tout à loisir admirer ce groupe d’une petite dizaine d’orques plongeant puis revenant à la surface chercher l’air. C’est incroyable. Une famille disparaît de notre vue, une autre surgit non loin, nous ne savons plus où regarder tellement il y en a partout autour de nous. L’intensité de ce moment est tellement forte… J’en ai les larmes aux yeux.

Je n’ai même pas la possibilité de finir ma soupe chaude le midi, étant tout le temps interrompue par l’apparition intempestive d’un épaulard passant à 10 m du bateau. Je finis donc par manger ma soupe froide, c’est le prix à payer pour pouvoir admirer d’aussi belles créatures. Un moment de répit de l’océan nous permet de placer un microphone acoustique dans l’eau, les vagues étant moins fortes. Nous entendons nettement le chant des orques sous l’eau, semblable à des cris d’oiseaux. Cette mélodie résonne comme un récital à mes oreilles et je l’écoute religieusement en remerciant la Nature de me donner l’occasion d’assister à un tel enchantement.

Ces orques, appelées « baleines tueuses » en anglais, ont été massacrées sauvagement jusque dans les années 80, ce qui paraît très récent. Elles avaient la réputation de tueuses sanguinaires massacrant tout sur leur passage pour le plaisir, ce qui est totalement erroné. Aucune attaque contre l’homme n’a été enregistrée en Colombie Britannique. Par contre, elles ont été décimées par l’homme qui les tuait à vue. Heureusement, cette pratique est terminée maintenant et on se contente de les observer pour les étudier ou bien juste pour le plaisir, mais avec respect avant tout. C’est une belle évolution de l’homme en 30 ans! Jackie nous parle des répercussions de nos produits chimiques sur ces animaux. Les orques migrateurs sont les premiers contaminés par nos produits toxiques… Ce sont les animaux les plus contaminés sur terre, étant donné qu’ils se trouvent à la fin de la chaîne alimentaire. Ils mangent des phoques qui contiennent déjà plein de toxines dans leur graisse. C’est à nous, humains, de faire attention à nos déchets. Trions nos poubelles, consommons moins, ne jetons pas n’importe quoi n’importe où, mangeons moins de viande bourrée d’antibiotiques, arrêtons d’injecter des hormones partout. Nous pouvons changer les choses, rendre le monde plus sain pour nous et pour les animaux qui nous entourent. La conscience de la terre est en train de changer, de s’améliorer, il ne tient qu’à nous d’accélérer le mouvement. Tout le bénéfice qu’en retirera la Terre nous sera retourné au quintuple.

Jackie nous parle de ces problèmes d’environnement avec conviction, tout en restant optimiste sur l’avenir. Le monde prend enfin conscience de son rôle à jouer pour le bien-être de tous. Nous discutons toutes les deux des solutions à adopter pour chacun, des chances qu’ont ces mammifères marins de s’en sortir (très minces, on doit l’avouer). Elle s’étonne de mon engagement dans ce domaine, de par mon âge et mon métier qui n’a certes rien à voir avec la sauvegarde de l’environnement et la basse consommation, bien au contraire. J’essaie de trouver un équilibre entre mon métier que j’aime d’une part et mes convictions environnementalistes d’autre part. Pour l’instant, ça marche ainsi. Je savais qu’on s’entendrait bien toutes les deux et c’est en effet le cas. Un autre biologiste, Bruce, se joint à notre conversation aussi, il est drôle et passionnant, je l’apprécie beaucoup également.

Nous rentrons au village en fin de journée sous une pluie battante mais peu importe, ce fut une incroyable percée dans ce monde féerique sous-marin. Dire que ces créatures sont si méconnues de nos jours encore! Je m’étonne toujours de l’aptitude qu’a l’être humain à vouloir conquérir l’espace alors qu’il connaît si peu la profondeur de ses propres océans. L’image de ces épaulards sautant et batifolant dans les vagues restera longtemps gravée dans ma mémoire. Une petite douche plus tard, nous retrouvons Jackie au pub pour qu’elle nous montre les photos de baleines prises lors d’une expédition sur un bateau de recherche près des îles de la Reine Charlotte. Impressionnant! Dire que j’y étais la semaine dernière… Mais ce n’était pas dédié aux baleines à ce moment-là. Je montre mes photos de baleines franches prises en Argentine. Ils sont tous assez impressionnés. Le repas se déroule sous les discussions de voyages que chacun a effectués pour apercevoir différents types de baleines. On en conclut que tous nous sommes de véritables drogués…Sur cette révélation, tout le monde au lit!

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